De façon très logique, il existe une corrélation entre le degré d’organisation administrative de votre client et la rentabilité de votre mission comptable. Cela est encore plus vrai dans le cas d’un dossier de tenue.
Le premier à avoir mis en exergue, chiffres à l’appui, cette corrélation est Antoine PEREZ, désormais Expert-comptable retraité et créateur dans les années 90 de la société GESCAP.
Antoine PEREZ a mené dans les années 2000 plusieurs dizaines de missions d’accompagnement en cabinet sur la base d’un outil de segmentation et d’analyses de portefeuilles clients qu’il avait modélisé sur Excel®.
Parmi les nombreuses analyses issues de ses études, l’une consistait à croiser le niveau d’organisation du dossier avec des extractions de la gestion interne du cabinet. Chaque collaborateur devait classifier ses clients en leur attribuant l’un de ces 6 niveaux :
• Niveau 1 : Pas d’organisation
• Niveau 2 : Un minimum de classement
• Niveau 3 : Kit d’organisation papier
• Niveau 4 : Echanges informatisés (disquettes !)
• Niveau 5 : Tenue comptable assurée par l’entreprise
• Niveau 6 : Présence d’un DAF et d’un contrôle de gestion dans l’entreprise
Chaque niveau se voyait attribuer un Prix de Vente Horaire Moyen (PVHM) issu de l’outil de facturation du cabinet. Sans surprise, l’écart entre le niveau 1 et le niveau 6 pouvait varier de 35€ à 70€. A l’époque, il y a plus 20 ans de cela, la majorité des clients était positionnée au niveau 2.
L’outil d’Antoine PEREZ proposait de simuler les gains de productivité du cabinet en imaginant le transfert de tous les clients des niveaux 1 et 2 vers le niveau 3, voire le 4.
A l’époque, la prise de conscience des Experts-comptables était sans appel ! L’organisation des clients était une évidence et devenait pour beaucoup d’entre-eux, le projet N°1 du cabinet.
Pour conforter son analyse, l’outil associait les missions de gestion récurrentes du cabinet avec ce même niveau d’organisation. Là encore, pas ou peu de surprises : les clients consommateurs de conseil en gestion (budget, prévisionnel, suivi de trésorerie, coût de revient…) étaient positionnés dans les étages 3, 4 … et supérieurs.
Bien que chaque Expert-comptable le subodore déjà à l’époque, organiser ses clients avait donc deux grandes vertus : améliorer la marge du cabinet et développer des honoraires de missions de conseil. Le constater avec les chiffres de son cabinet permettait une prise de conscience généralisée.
Mais pour donner suite à la mission, la mise en pratique d’un kit d’organisation s’avérait parfois compliquée. Le manque de temps pour formaliser un processus d’organisation généralisé, le « quotidien », les habitudes, les freins des clients et ceux des collaborateurs … Tous ces éléments écartaient progressivement l’Expert-comptable de cette prise de conscience initiale.
Il y a 20 ans, la lettre de mission était souvent basée sur le temps passé, et le forfait encore rare. La perte de rentabilité du dossier pouvait encore être compensée par une « facture régulative » de fin d’exercice.
Aujourd’hui, les choses se sont améliorées :
1. La digitalisation des échanges a apporté de la productivité ;
2. Les collaborateurs sont plus à l’aise pour extraire et importer des fichiers de données dans l’outil de production du cabinet ;
3. Le forfait a pris le pas sur « les temps passés » obligeant le cabinet à plus de vigilance sur l’état d’organisation de leurs clients ;
4. Certains cabinets ciblent leurs clients et imposent un processus contractuel d’organisation. Les prospects qui le « refusent » ne sont pas éligibles à la mission. C’est par exemple le cas de deux membres du CEG : Guillaume PAOUR du cabinet Only Compta et David LADAME du cabinet EXPERNEO. (Témoignages à retrouver dans le podcast du CEG ici)
Néanmoins, comme chacun le sait, les gains de productivité sont toujours transférés vers les clients ce qui pousse le cabinet à traiter de plus en plus de dossiers sans véritablement améliorer sa marge en pourcentage des honoraires.
Par ailleurs, la majorité des clients restent des TPE. Et bien que les processus soient de plus en plus informatisés (exit la « boîte à chaussures »), on constate toujours une très forte hétérogénéité des outils d’organisation et d’échanges au sein d’un portefeuille clients d’un même collaborateur.
De notre point de vue, la meilleure stratégie pour améliorer sa marge, est celle adoptée par les deux cabinets cités précédemment avec un processus imposé en échange d’un service de haute qualité.
La facture électronique devrait grandement faciliter le déploiement de cette stratégie.
Tout d’abord, la facture électronique va imposer aux clients des espaces de gestion digitalisés.
Ces espaces en ligne (OD et PDP) vont permettre à vos clients :
1. D’émettre des factures électroniques à leurs clients et de mieux se faire payer ;
2. De recevoir des factures électroniques de leurs fournisseurs et de les payer en ligne ;
3. De suivre leur état de trésorerie en associant leurs relevés bancaires aux différentes recettes et dépenses de l’entreprise ;
4. De mieux gérer leurs notes de frais avec une CB associée ;
5. De déposer des courriers et des déclarations dans une GED partagée.
Ainsi, 20 ans après les analyses d’Antoine PEREZ, le kit d’organisation va s’imposer de lui-même !
Tous les clients des niveaux 1, 2 et 3 seront invités à rejoindre le niveau 4, ce qui devrait :
• Améliorer le confort des collaborateurs ;
• Améliorer la satisfaction des clients après une phase d’adaptation ;
• Améliorer la marge des dossiers ;
• Améliorer le développement des missions de conseil en gestion (pilotage)
• Permettre de faire face à la tension sur le recrutement dans la profession.
La résistance des collaborateurs et des clients à mettre en place ce processus d’organisation sera amoindrie dans le sens où ce type d’organisation sera imposé par l’Etat.
Attention, toutefois : cette obligation peut être subie par le cabinet, voire se « retourner » contre lui si elle n’est pas anticipée. Effectivement, si les clients sont livrés à eux-mêmes en choisissant leur propre plateforme, le cabinet risque d’obtenir l’effet inverse en subissant une forte hétérogénéité des outils choisis.
Sans oublier les risques de désintermédiations dont nous avons déjà largement débattu au travers de nos précédents articles.
En conclusion : l’avènement de la facture électronique est une opportunité unique pour organiser les processus d’échanges avec vos clients. La dématérialisation de la facture et sa meilleure facilité à la comptabiliser n’est donc que la partie visible de l’iceberg.
L’enjeu est beaucoup plus large qu’il n’en a l’air : il s’agit d’un vaste chantier d’organisation pour tous les cabinets avec une échéance qui se rapproche à grands pas.
Jérôme CLARYSSE, Président de RCA et du CEG